Major Gilles Linteau


Il est passionnant de discuter avec le Major Gilles Linteau de sa carrière dans les Forces armées canadiennes et qui de fait a porté le grade de lieutenant-colonel de façon intérimaire pendant une période de six ans. Non seulement elle est bien remplie, mais paradoxalement, elle aurait très bien plus ne jamais se concrétiser…


Gilles est né à Loretteville, non loin de Québec. Depuis sa jeunesse, Gilles est passionné par le sport. Et même si certains éléments présents dans sa vie pouvaient le prédestiner à une carrière dans l’armée, son caractère défiant et son éducation où on lui a montré à prendre les choses comme elles viennent auraient pu le mener dans une toute autre direction.


Le père de Gilles est dans la Réserve et Gilles l’admire lorsqu’il le voit arriver à la maison en uniforme.  De plus, il encourage ses enfants à se trouver un emploi dans l’armée ou le gouvernement, question d’assurer leur avenir. D’ailleurs, le plus jeune frère de Gilles suit les conseils de son père et entre dans l’armée. Mais tout le long de sa jeunesse, Gilles n’a pas de plan d’avenir défini ou de métier en particulier dont il rêve, vers lequel se diriger. 


Entre l’âge de 12 et 19 ans, il fait partie des cadets et est même commandant des cadets et puis plus tard, instructeur.  Il entreprend des études collégiales mais il y met un terme à l’âge de 21 ans au moment de se marier. Il continue cependant à pratiquer des sports, dont le hockey. Suite à son divorce 4 ans plus tard, il doit prendre une décision pour son avenir. Il y a trois choses que Gilles aime particulièrement dans la vie : faire du sport, voyager et avoir des responsabilités. L’armée a la possibilité de lui offrir les trois. Il choisit donc de s’enrôler. Il a 26 ans. 


Malgré sa décision de s’enrôler, beaucoup d’éléments lui disaient de ne pas y aller. D’ailleurs, les gens qui le connaissent ne l’auraient pas vu dans l’armée. Gilles est quelqu’un dit ce qu’il a dire et ce peu importe qui vous êtes ou quel est votre grade. Cela peut être problématique avec une carrière militaire, surtout lorsqu’on monte en grade. Cela dit, s’il reçoit un ordre formel, il le suivra. C’est la façon dont il a été élevé.  Mais selon Gilles, si tu es toi-même et que tu respectes tes valeurs, tu vas réussir. De toute façon, en entrant dans l’armée, il n’avait pas d’ambition précise, sinon d’atteindre ses trois objectifs.


Avec de la persuasion, il réussi à entrer comme officier, malgré le fait qu’il n’a pas terminé ses études collégiales. La première mission hors du pays qu’on lui propose est de se rendre en Allemagne. Il hésite, puisqu’il a une fille qui est ici. Mais c’est une belle occasion et ce serait sa première fois hors du pays. Il accepte donc et il y reste 3 ans. Durant ces années, il fait plusieurs allers-retours au Québec pour voir sa fille.

 

À son arrivée en Allemagne, il est officier des renseignements. À cette époque, c’est encore la guerre froide.  Il participe à plusieurs exercices dont celui appelé Snowball, où les soldats se déploient à 4h du matin pour pratiquer au cas où il y aurait une attaque réelle. Son rôle est d’aller chercher de l’information. Après 1 an et demi, il devient commandant-adjoint d’une compagnie d’infanterie. Durant ces années en Allemagne, il en profite aussi pour visiter. Ce fut pour Gilles trois belles années.


À son retour au Canada, il passe  2 ans à Valcartier. La première année, il travaille au quartier général de la 5e brigade et s’occupe de préparer l’entraînement collectif. La deuxième année, il devient adjoint-exécutif du commandant de la Base. Il fait alors son cours pour être promu Major. Une fois le cours terminé, il retourne au bataillon comme adjoint d’une compagnie de service. Il gère l’aspect logistique d’une unité : tout ce qui concerne le médical, le transport, la nourriture, la mécanique, etc.


Puis survient la Crise d’Oka. Nous sommes le 14 août 1990. La brigade au complet de déploie, soit 2500 soldats.


Selon Gilles, la Crise d’Oka a permis de renouveler et de changer un peu l’image que les gens avaient des Forces canadiennes. La mission en est une d’aide aux autorités civiles. Son unité est déployée du côté sud (sur la rive-sud). Leur responsabilité est d’ouvrir l’accès au Pont-Mercier. D’un point de vue personnel, étant originaire de Loretteville qui est près de la réserve de Wendake, Gilles a des amis autochtones pour qui il a beaucoup de respect, il s’applique donc à bien remplir le mandat pour lequel les Forces canadiennes sont déployées et faire abstraction de son opinion face à la situation. 


La crise dure 2 mois et demi. Selon Gilles, ils auraient pu régler le tout en 1 semaine mais les conditions auraient été dommageables pour longtemps. Le fait d’avoir agi comme ils l’ont fait à améliorer de beaucoup l’image de l’armée auprès de la population.  L’opération se termine en octobre 1990.


En 1991 il est promut Major. Un an plus tard, il part en mission à Chypre avec la même unité. Il s’agit d’une mission de l’ONU. Il s’occupe d’une compagnie d’infanterie et a un secteur à  gérer avec une ligne-frontière qui fait 30 kms de longueur. Il est sur place du mois de février au mois d’août.


Normalement, il doit y avoir un an entre les missions. Après un an pile, Gilles est envoyé en ex-Yougoslavie en tant que commandant d’une compagnie de service pour une mission de l’OTAN. Cette mission est un vrai défi au niveau logistique dû aux grands écarts de climats entre les endroits où sont stationnés les soldats.  Il y reste d’octobre à avril.


En 1994, Gilles est muté à l’École des officiers comme instructeurs et commandant d’une compagnie. Il doit y rester 3 ans. Il s’agit d’une très bonne assignation et ses supérieurs lui disent qu’ils lui ont fait un cadeau.  Mais dans le même temps, il veut faire son cours pour avoir la chance d’être promu lieutenant-colonel. Ce cours d’un an est l’équivalent d’un cours universitaire de 3 ans. Cela lui laisserait quelque chose à apporter avec lui lors de sa retraite des Forces armées car, n’ayant pas terminé ses études collégiales avant de s’enrôler, il n’avait qu’un secondaire 5. Il prend la décision de faire le cours et ce malgré le fait que cela déplaît à ses supérieurs.  Il réussit et obtient  sa promotion. Son texte intitulé « Le leadership des forces canadiennes : pouvoir et politique », écrit durant ses études,  est même publié. D’ailleurs, certains faits relevés et certaines recommandations qu’il a faites sont encore très applicables aujourd’hui. Par contre, certains de ses propos dans ce texte ne lui font pas d’amis dans les Forces.


En 1996, il est envoyé au quartier-général de la 1ère Division canadienne à Kingston en tant que planificateur – terre. Mais nous sommes alors dans les suites du génocide au Rwanda et c’est la crise du Zaïre. Il faut rapatrier au Rwanda les 1 300 000 réfugiés installés au Zaïre.  Gilles part en novembre pour cette mission de l’OTAN. Il fait d’abord un arrêt de 3 semaines en Allemagne, au quartier général des forces spéciales américaines pour planifier le retour des réfugiés. Mais on constate rapidement que ces derniers  revenaient d’eux-mêmes. Donc  la mission est annulée. Mais il faut quand même la fermer, soit rapatrier les équipements, etc.  Gilles considère que ce fut une très bonne mission pour l’expérience de planification dans un État-major à un haut niveau. Et c’est aussi là qu’il fait la connaissance de sa future femme, qui est sous-officier.  Bon… les officiers et les sous-officiers ne sont pas sensés entretenir de liens personnels… Oops! Ils sont ensemble depuis 23 ans.


Gilles est ensuite envoyé au Centre Lester B. Pearson pour le maintien de la paix en Nouvelle-Écosse. Il s’git de l’école canadienne pour enseigner l’expérience du Canada dans les missions de l’ONU. À l’époque, le Canada est le seul pays membre des Nations-Unies qui a participé à toutes les missions. Gilles y reste 2 ans comme instructeur. Il est « le » francophone de la place.  Tout ce qui se donne comme cours en français passe par lui. Il fait de longues journées, rencontre des gens de partout.


Après 2 ans, on lui offre de retourner en Allemagne avec l’ARRC (l’unité d’action rapide, advenant un conflit au niveau de l’OTAN). Il fait parti de la section opérations. En garnison, ils sont environ 400 soldats. En mission, ce chiffre double. Il s’agit d’une grosse organisation.  C’est à ce moment là que se produisent les événements du Kosovo.  L’ARRC est la seule organisation capable de se déployer en dedans de 24h.  Il s’agit d’une mission de stabilisation de la situation.  Gilles est officier d’État-major et il y reste 2 mois et demi. 


À son retour, on lui offre de travailler au quartier général de l’OTAN, où on lui donne le dossier de l’Ukraine.  L’armée Ukrainienne comprend 800 000 soldats et l’Ukraine veut la réduire pour atteindre 250 000. Gilles doit donc développer un plan d’action avec les affaires étrangères de l’OTAN et celles de l’Ukraine en coopération avec le Ministère de la Défense.  Il passe deux ans là bas. Entre autre travail, il écrit des discours pour le Président du comité militaire de l’OTAN, qui est un 4 étoiles (pas de pression!). Il adore son temps à l’OTAN. Cela lui permet  d’en apprendre beaucoup sur l’aspect politique des choses.


De retour au pays, il est instructeur à Kingston pendant un an pour les jeunes capitaines qui veulent devenir major. On lui offre ensuite le poste de coordonnateur de la garnison de Longue-Pointe, où il s’occupe du soutien logistique ou en personnel. Pendant qu’il est là bas, son ami le général Laroche lui offre d’aller en Afghanistan.  Mais Gilles a alors 54 ans et pourrait prendre sa retraite à  55 ans... Ou rester jusqu’à 60 ans. Il lui faut prendre une décision et sa décision est d’y aller. Il y reste 10 mois et son rôle est d’assurer la communication entre le gouverneur de la province et son commandant.  Il a avec lui 3 officiers de liaison et le communicateur du gouverneur. Pour assurer leur sécurité, il a des employés locaux afghans dont les parents avaient été tués par les Talibans. À son arrivée, il constate qu’ils ont  seulement un mur de 10 pieds de haut pour les protéger. Lors de son séjour, il améliore la sécurité du camp entre autre en faisant ajouter des barbelés et des caméras. Il se rend à KAF (Kandahar Airfield) une fois par semaine pour passer les informations qu’il doit passer et recevoir celles qu’il doit recevoir. 


Pendant son tour en Afghanistan, il obtient une promotion intérimaire. En théorie, il aurait dû rester à Longue-Pointe mais il avait entendu au travers les branches qu’il y avait une position en Pologne. Il joint donc le JFTC (Joint Force Training Center), une des deux écoles de l’OTAN qui préparent les militaires qui vont se déployer dans les quartiers généraux en Afghanistan. Il s’occupe des aspects tactiques et opérationnels. Il fera ce travail pendant 4 ans, durant lesquels il aura l’occasion de voyager aux États-Unis pour enseigner aux Américains.  

Vient ensuite le moment de la retraite.


Qu’est-ce que Gilles a le plus apprécié de sa carrière dans les Forces armées? Son premier séjour en Allemagne.  Mais si on parle au niveau vie et carrière, alors sans aucun doute il s’agit de l’Afghanistan, parce qu’il a pu retransmettre ce qu’il a appris lorsqu’il a fait partie du JFTC en Pologne.


Et si c’était à refaire? Peut-être que Gilles ne renterait pas dans les Forces armées.  Vous trouvez ça bizarre?  Rappelez-vous du début de ce texte, de sa façon directe de dire les choses. Gilles n’est pas un militaire de philosophie, il n’est pas un politicien. Ce n’est pas dans sa nature et sa personnalité… Mais malgré cela, et tout en contradiction, il est resté 33 ans dans l’armée et il a atteint ses trois objectifs : il a pratiqué des sports toute sa vie, il a voyagé et il a eu des responsabilités. 


Gilles ne s’ennuie pas de son métier, il a accomplit ce qu’il voulait. Il a fait son temps. Aujourd’hui, il est membre de la Légion et ce qu’il fait là-bas est très important pour lui : écouter et aider ses collègues qui en ont besoin.